Comment survivre en Zone Urbaine Sensible ...
Depuis plus d’un an, je bosse en banlieue …
[ je vous laisse une minute pour au choix : frissonner de peur, faire une moue de dégoût, ou me présenter vos condoléances ]
autant vous dire que la violence est au cœur de ma vie : je vais bosser tout les jours la peur au ventre. Je ne compte plus les insultes, les crachats, et même les coups …
bon en fait, pas du tout.
De cette année passée, pas une escarmouche, pas une anecdote à exhiber fièrement au public conquit par ma grandeur d’âme par mon extraôôôôrdinaire dévouement à l’égard des hommes.
Il y a bien quelques tensions, quelques engueulades, quand la patience se perd on ne sait trop où entre le 35 et le 36 patient de la nuit …qu’il a attendu quelques 4 H 30 pour que tu lui annonces que « et non il n’y pas de médicament miracle pour un rhume » et que « non, il n’aura pas 10 jours d’arrêt de travail » et encore moins « une ambulance pour rentrer à la maison
En fait, de la banlieue je n’ai vu que la précarité, des situations sociales à la limite du tolérable, des histoires de vie plus sordides les unes que les autres …
Quand on voit un patient pour la première fois, on pose un tas de questions, dans ce tas il y a ce que l’on appelle le mode de vie, c’est une partie qu’on fait le plus souvent assez rapidement : tabac ? alcool ? allergies ? type de travail ?
Dans les banlieues qui craignent, ta case mode de vie elle quadruple de volume entre : l’ absence de papiers, l’absence de couverture sociale, le pays d’origine, les familles partagées entre plusieurs pays, la difficulté à trouver un travail, les prises éventuelles de toxiques, les conditions de vie qu’on est parfois bien loin d’imaginer …
Alors j’ai lu des bouquins pour essayer de comprendre, de savoir ce qu’était la banlieue, la chaude, la zone d’éducation prioritaire, celle qui flambe et qui terrorise, je ne suis toujours pas sûre d’avoir trouvé.
Ma banlieue difficile à moi, c’est le visage de quelques uns de mes patients, c’est leurs quelques mots au cours d’une conversation banale dévoilant comme par erreur leurs difficultés, c’est des larmes perdues dans une chambre d’hôpital sur l’enfant / la femme ou le mari, resté au pays, que l’on a pas revu depuis si longtemps …
Ma banlieue difficile n’est pas vendeuse, elle ne fait pas des part d’audience à la télé, elle ne fait pas vendre du magazine à la pelle …
Et surtout ma banlieue difficile ne m’appartient pas, et si je met à chaque phrase ce « ma » qui me débecte, en réalité c’est plutôt elle qui me possède ...